Deuxième épisode - première partie
---------------------------------------------------
Le soleil s'est levé deux fois le jour où Nancy est revenue de la Chine. J'ai manqué le premier lever. Il m'aurait été impossible de rater le second.
J'étais en compagnie des parents de Nancy, nous l'attendions à l'aéroport. Pour ménager son nouveau cou, la chanceuse s'était fait payer un billet en première classe, je m'attendais à moitié à ce qu'elle débarque avec les petites pantoufles Air Canada encore dans les pieds, un sourire Colgate au visage, les mains parfaitement lotionnées.
À la place nous avons eu droit à un lever de soleil, ses cheveux autant de rayons qui pointaient de son crâne, tous de la même longueur, raides comme des spaghettis dans leur boîte! C'était difficile malgré la solemnité du moment de ne pas éclater de rire.
"Tu t'es vu la tête?", lui ai-je demandé en l'embrassant aussi doucement qu'il m'était possible.
"T'es pas fin. Demain je vais m'acheter un chapeau", m'avait-elle répondu.
C'est Keny, le père de Nancy qui a pris le volant pour le retour à la maison parce que sa Corolla avait une suspension plus molle que ma Golf-tasse-toi-mon-onc'.
"Ouch Papa, essaie de ne pas trop prendre de bosses veux-tu?" disait Nancy. Le pauvre Keny faisait de son mieux mais il lui aurait fallu un aéroglisseur pour ne pas s'enfoncer dans les cratères de la 20 entre Dorval et le pont Champlain, en plein dégel. Et encore...
Malgré tout, nous avons fini par nous rendre et Nancy s'est installée chez ses parents pour un moment, le temps de récupérer un peu et de se faire dorloter. Ce n'est qu'après quelques semaines de ce traitement royal que Nancy est revenue chez nous à Ste-Foy, la ville de nos études et de nos folles amours. Nous savions que notre vie allait changer mais quand on a vingt-six ans, rien ne nous paraît si énorme n'est-ce pas?
Et c'est vrai que la vie avait une texture différente. Nancy portait maintenant des chapeaux, elle qui avait toujours dit "je n'ai pas une tête à chapeaux". Et puis elle peignait ses cheveux par en arrière comme le Fonz dans Happy Days, passant des quantité phénoménales de gel coiffant à tous les jours pour faire se coucher le barbelé, toujours avec un succès partiel. J'avais même composé une chanson sous cette inspiration que j'avais intitulée "Every day is a bad hair day".
Au-delà des changements toutefois il y avait une partie de Nancy qui n'avait pas changé d'un cheveu. Son envie par exemple, un dimanche après-midi, d'aller faire du patin à roulettes sur l'anneau Gaétan Boucher tenait de la folie, elle qui avait encore au cou son collier cervical, des douleurs et autres engourdissements de toutes sortes. Mais quand Nancy décidait qu'elle allait faire du patin, j'avais intérêt de ne pas me mettre en travers de son chemin. Le mieux que je pouvais faire était de la suivre et de l'empêcher de se casser le cou à nouveau. Pas facile, compte tenu qu'elle insistait pour patiner à reculons. J'en avais des sueurs froides. J'en ai encore quand j'y pense. Elle avait même fait le même coup à mes parents lorsque nous les avons visités un peu plus tard, mon frère s'en souvient encore...
Un jour, Nancy s'est décidée à aller consulter un médecin pour voir si tout était en ordre. Je me rappelle quelques neurologues à l'hôpital de l'Enfant-Jésus, l'air perplexe, profondément en discussions l'un avec l'autre. Comme Dupond et Dupont, ils nous avaient annoncé la nouvelle :
"C'est un travail partiel", avait dit l'un.
"Je dirais même plus, on dirait que le greffon d'os s'est déplacé vers le bas avant de se souder", avait dit l'autre
"Ce qui fait que C5 est à peine soudée, elle ne tient que par un coin qui nous apparaît ma foi bien fragile."
"Bien fragile. Il faudrait opérer ça, es-tu d'accord mon cher collègue?"
"Tout à fait, mais c'est toi qui le fais."
"Ah non, pas question!"
"Roche papier ciseau?"
"Voyez-vous madame, en se retournant vers nous, nous sommes beaucoup trop chicken pour vous opérer car d'après ce que l'on observe, il ne suffirait que d'un battement d'aile d'une libellule pour que ça casse à nouveau et là, oh là là, la moëlle va certainement se sectionner et vous allez être paralysée à tout jamais."
"Palarysée à jout tamais!"
Enfin, ça ressemblait à ça. Ces deux clowns ont passé leur message: Nancy n'était pas hors de danger mais ce ne serait pas dans cet hôpital qu'elle serait rafistolée.
Un autre voyage à Montréal, sous les conseils d'un membre de la famille médecin, et Nancy et moi nous retrouvons à l'Institut de Neurologie de l'hôpital Royal Victoria. Les radiographies ont circulé, sont passées entres bien des mains avant de se retrouver dans celle du champion de l'Institut, le kingpin des cous cassés, l'incomparable et irremplaçable Dr. Ronald Pokrupa. Deux jours après, sous sa direction, Nancy était admise et allait subir un nouveau cauchemar.
"Relaxe Nancy, cette fois-ci nous allons t'endormir et nous prendrons soin de toi après l'opération, ne t'en fait pas. Je te réserve une petite surprise...". Cet homme avait tout pour nous mettre en confiance.
Quelques heures sous anesthésie et Nancy s'est retrouvée avec une plaque de titane vissée dans le cou. Le trou de sa hanche s'était un peu agrandi, il avait fallu plus d'os pour combler le manque autour de C5.
"Je veux ma surprise" avait-elle dit au réveil.
On lui mit une télécommande dans la main.
"Quand ça fait mal, tu appuies ici ma belle, fit l'infirmière, tous tes problèmes vont s'en aller."
"Ah oui? Je peux essayer? Pfuit. Ohhh, ahhh, je me sens bien tout à coup..."
L'auto-injecteur de morphine est vite devenu l'ami de Nancy qui avait tant souffert. Parfois avant de s'endormir, elle sombrait dans un délire onirique qui la faisait rire. Elle voyait des créatures fantastiques se jeter devant elle et me racontait tout bas le bien-être qu'elle vivait de les voir.
La seule créature fantastique que j'ai vue ce jour-là se trouvait dans son lit, pleine de sommeil et de rêves...
------------------- À suivre
12 octobre 2006
S'abonner à :
Publier des commentaires (Atom)
8 commentaires:
Mon Dieu j'ai encore les larmes aux yeux!!!
Je me rappelle lorsque j'étais a l'hôpital, les médicaments étaient moins fort mais quand même il avait de la morphine!! Les premiers jours j'avais tellement halluciner que j'ai trouvé le nom du cadeau de ma belle-soeur(un chien en peluche). Je dois avouer que ma famille a été un peu sur les nerfs!!
J'ai vraiment hâte de connaître la suite!!!!
vivement la suite
Salut Nancy - et Burt, bien sur. Mais Nancy n'est pas loin, j'en suis sur...
On s'etait jamais reparle de ce detail dans l'histoire, finalement, mais bon, maintenant qu'on en parle - c'est bien a l'Institut Neurologique de Montreal que vous etes alle ? Mon alma mater... on s'en etait parle quand tu avais visite, Burt ? Je ne me souviens plus.
Celui ci est independant - je note pour la posterite - de l'hopital Royal Victoria.
Le Dr Pokrupa semble maintenant a Queen's , a Kingston (le monde est petit, on ne se refait pas)
http://meds.queensu.ca/medicine/surgery/staff/Pokrupa.htm
Alors voila. Petits details insignifiants dans une histoire lourde de significations.
Quand a faire du patin par en arriere...j'ai toute mes vertebres et je ne veux meme pas :-) sacree Nancy, va!
A+
@Papa Alien: Merci de la précision pour le Royal Vic. Quant au Dr. Pokrupa, nous le savions déjà mais ça, ça fait partie de la suite de l'histoire... ;)
Salut Burt !! Désolé de n'être pas passé plus souvent mais je DÉTESTE devoir attendre la suite d'histoires aussi bien écrites... je me suis donc abstenu de lire une parcelle de toute cette histoire...
Premièrement, je dois dire que j'en ai les larmes aux yeux... cette torsion qui me tenaille les entrailles... je ne souperai probablement pas ce soir... j'en serais incapable.
Deuxièmement, félicitations pour l'écriture fantastique. L'événement en soi est quelque chose d'incroyable mais encore faut-il être capable de transmettre ces douloureux souvenirs aux autres.
Troisièmement, peux-tu transmettre toutes mes sympathies et mon admiration à Nancy. Je suis sincèrement bouleversé par cette histoire et mes petits maux me parraissent soudainement très loin...
Elle a tout mon respect.
Num
Troublé.
@Num: 1) même pas une soupe lipton avec des Ritz? 2) trop cool, merci vieux! 3) je n'y manquerai pas!
@haska: lol, et c'était quoi son nom à toutou?
La suite s'en vient, probablement samedi ou dimanche soir...
BENNY!!!! Je les baptiser un mercredi en 2005!!
Je sais son nom est bizarre!! Je vais m'en rappeler cette journée toute ma vie car c'est a se moment là que j'ai eu la pire nouvelle de ma vie soit mon diagnostic!!
Je dois avouer qu'il dort encore avec moi Benny et j'ai souvent pleurer avec lui dans mes bras!!
J'ai hate a la suite!!
Publier un commentaire