Minneapolis, Minnesota, vendredi le 11 août, j'ai un moton dans la gorge. Mon passeport dans une main, une paire de baguettes dans l'autre, je m'efforce d'avaler un bol d'Udon mais ne déglutis que difficilement. Mes muqueuses sont enflées et sèches, signe incontournable qu'un visiteur s'est installé dans mon corps et que ma gorge a hérité des premiers symptômes de l'infection. C'est probablement pourquoi je ne trouve que peu de saveur dans ma soupe japonaise, le tout m'apparaît comme fade et trop cuit. Je fronce les sourcils sur le chou émincé, sachant que mon intestin aura à payer cet écart plus tard et que le dernier vol de mon voyage, celui qui me fera rentrer chez moi, ne sera probablement pas confortable.
Essayant de ne pas aspirer les énormes nouilles avec trop de disgrâce, je lorgne mon passeport ouvert sur une page qui quelques heures avant était vide de tout inscription. En ce moment, un carton y est broché sur lequel on peut lire les lettres TN. C'était ça le but de mon voyage, ce bout de papier estampé qui n'est que la tête du lézard, le reste de son corps numérique résidant dans les mémoires de dizaines de machines binaires appartenant au gouvernement des États-Unis.
Je repense un instant au déroulement des événements de la journée. Avec tout ce qu'on entendait dans les nouvelles à propos des tentatives d'attentats échouées et étant donné l'horrible voyage que je me suis farci sur le legs de l'aller, je suis arrivé à l'aérogare un bon quatre heures avant mon vol. Première étape: obtenir les cartes d'embarquement. Il n'y a pas une ombre au comptoir de la Northwest, je suis seul avec le guichet libre-service qui me crache mes deux cartes pour la journée en moins de cinq minutes.
Je poursuis vers la deuxième étape: passer l'immigration américaine. Je marche d'un pas rapide devant le DutyFree de l'aéroport Trudeau sans même le regarder, m'étirant plutôt le cou pour voir la file d'attente. À ma grande surprise, une vingtaine de personnes seulement attendent et la ligne semble avancer à une cadence soutenue. Je ne pense pas à la troisième étape encore car je dois me concentrer sur ce qui s'en vient. Lorsque c'est mon tour de défiler devant l'agent, le lui lance avec assurance que je désire appliquer pour un statut TN. Le terme signifie Temporary NAFTA, un visa spécial ouvert aux Canadiens et Mexicains désirant travailler au pays. Mes recherches préalables m'avaient vite convaincu que j'avais toutes les qualifications necessaires pour ce type de visa créé dans le cadre de l'ALENA. Cette fois contrairement à la dernière, j'avais en main tous les papiers nécessaires pour y arriver.
Mon passeport est disparu, on m'a demandé de m'asseoir, j'ai sorti mon livre et ai calmement attendu mon tour: inutile de se stresser avec cette formalité. À la demande de l'agent de l'immigration, j'ai sorti tous les papiers nécessaires, lui ai montré, lui ai expliqué la nature de mon travail et ce que la compagnie Pixman fait, en lui expliquant aussi qu'aux USA, je travaillerai pour Indextree, une compagnie sous licence de Pixman. L'agent semblait blasé ou vexé, je ne savais trop comment interpréter son langage corporel, on aurait dit qu'il cherchait à me coincer mais n'y arrivait pas. Il est retourné dans son bureau et de la fenêtre, je l'ai vu feuilleter les pages de mon passeport à la recherche peut-être d'une page vide pour y apposer son sceau. Puis ses yeux se sont arrêtés sur une page, il a approché le document pour le voir de plus près, son front s'est plissé et il s'est mis à tourner les autres pages comme s'il cherchait quelque chose de précis. Il m'a fait signe de la main de venir m'asseoir dans son bureau. Je savais de quoi il allait me parler.
"What was the purpose of your trip to Syria?". Sans ciller, j'ai répondu: j'étais enseignant dans mon emploi précédent, nous avions un programme international avec l'Afrique et le Moyen Orient, c'est moi qui suis allé en Syrie enseigner la sécurité IP. Il a sorti un énorme tampon, clic-clac, et mon passeport est soudainement devenu un document précieux qui allait me permettre d'obtenir un numéro d'assurance sociale, un compte de banque, un permis de conduire, une place du Névada pour ma moto!
Le bol à la bouche, j'aspire le reste des nouilles et du bouillon de choux. Et dire que la troisième étape à l'aéroport de Montréal, le passage à travers les détecteurs de métaux, n'a guère été plus difficile. J'avais bien pris soin de n'apporter aucun liquide, ce qui revenait à dire que je n'avais pas encore remplacé mon dentifrice et ma bouteille de gel coiffant jetés la veille. Encore une fois, je suis arrivé sur place et la seule dame devant moi avait déjà enlevé ses chaussures et passait sous le portail de détection. En trois minutes, j'avais rempli mes poches, rechaussé mes galoches et je marchais en sifflotant les notes de "Everybody was Kung Fu Fighting", incarnant à la fois le coq, le boeuf et le loup dans ma démarche.
Je dépose mon bol vide sur la table et nettoie ma place pour le suivant. Un rapide coup d'oeil à ma montre me dit qu'il reste encore une heure à tuer avant l'embarquement. C'est tellement plus agréable de voler normalement, avec un vrai billet en main, plutôt qu'en mode standby comme mercredi et jeudi dans l'autre direction. Je m'assois près de la porte d'embarquement, sors mon livre tout neuf sans trop faire attention à mon intestin qui a commencé à gargouiller.
Dans quelques heures, je serai chez moi...
12 août 2006
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4 commentaires:
Cool ce billet !! Mais je ne 'ai jamais voyagé... ;(
Num: dommage, mais il n'est jamais trop tard.
Ah Burt! Habitue-toi à ce look frustré des agents de l'immigration Américaine. Ils vont te le donner à chaque fois que tu vas sortir ton TN. Y'a quand même rien de plus satisfaisant que de les voir se taire en mi-question quand tu leur flash sans dire un mot! "(swipe) Go right ahead _sir_!" ;-)
Anonyme/Frank: Ah maudit que j'ai hâte. Le hic, c'est que je ne risque pas de passer la frontière bien souvent... Mais je sens que je vais apprécier quand même. Feels good to be legal!
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